Après des décennies de mondialisation et de monoculture du goût et des saveurs, on ne déroge pas à la règle de remettre à l’honneur notre culture gastronomique unique ; un mouvement mondial désormais encouragé par la localisation numérique et la digitalisation. Il nous semble primordial de retrouver aujourd’hui, les marqueurs identitaires culturels qui nous caractérisent à condition de les inscrire au cœur de la modernité et de la créativité. Dans cette tendance de fonds figurent les produits qui font notre histoire depuis plus de 4 000 ans dont le Pain. Pour répondre à ce regain d’intérêt, des nouveaux business ont émergé, bousculant tous les circuits établis avec de nouveaux concepts de restauration fast casual qui intègrent, tous, le snacking, l’explosion du terroir et des produits épiciers, le renouveau des petits commerces de bouche ou l’éclosion de la cuisine inventive mais patrimoniale et faisant la part belle aux produits bruts, locaux et le respect des circuits courts. L’artisan se voit particulièrement touché par cette transformation socio-culturelle et économique de notre société, devenant le grand perdant du secteur et voyant son potentiel diminuer dans un marché qui reste stable et mature en Europe.
Pourquoi le boulanger doit-il se transformer en entrepreneur ? Comment toucher les nouvelles générations, les fameux millennials, qui délaissent les boulangers traditionnels au profit de ceux qui proposent une expérience ? Comment la BVP doit-elle réinventer son mix marketing offre qualité-prix-services afin de tirer profit de cet engouement pour le bien et le mieux manger ?
/ 1 / Le pain, LE marqueur culturel identitaire, étendard de la naturalité
« Nous venons tous du pain ! » a rappelé Eric Kayzer
en ouverture de la première CIBM
Eric Kayser, qui a ouvert la Convention a tenu à rappeler que le pain est avant tout un produit artisanal extraordinaire qui fait partie de notre patrimoine depuis le développement de l’humanité. « Nous venons tous du pain ! » a-t-il rappelé. Ce produit originel de l’alimentation humaine, au même titre que le vin, se doit de retrouver ses lettres de noblesse et de s’inscrire au cœur de la modernité. Pour y parvenir, les enjeux d’aujourd’hui et de demain consistent à garantir sa qualité au consommateur, et c’est sans compromis ni concession que la filière se doit d’inscrire la naturalité au cœur de ce produit emblématique de notre alimentation. L’eau, le levain naturel, la farine, le travail étroit avec les meuniers, les processus de fabrication redeviennent ancestraux afin de mieux s’adapter à notre époque au travers de bakery-coffees à l’image de Starbucks en créant de véritables lieux de vie où l’expérience, basée sur le partage de ce produit « vivant », et la personnalisation sont de rigueur dans un monde moderne.
« Le pain, un symbole, un produit complexe qui attire bien des convoitises », Eric Kayzer.
/ 2 / Capitaliser sur l’ultra-transparence, le clean et le clear labelling
« L’utilisation de produits « hibernés », un moyen de se consacrer pleinement à faire du bon pain. Cette transparence de la provenance des produits peut être sincèrement partagée avec nos consommateurs » Christophe Girardet, fondateur de Victor et Cie, en compagnie de Pascal Schneider Maunoury, directeur marketing de Bridor. Louis Le Duff avait fait le déplacement au CIBM.
Dans la continuité de la naturalité du pain, l’ultra transparence, le clean-up – voire le clear labelling – comme tient à le préciser Anne Frémeaux, Directeur Bakery de Gira, a toute son importance aux yeux des consommateurs, en quête de produits plus responsables. Intégrer les aliments santé et healthy comme les omega-3, les fibres, les protéines, des céréales anciennes et des plus nouvelles comme le Tritordeum (croisement naturel entre le blé dur et l’orge) sont des réponses à exploiter. Bien que les frontières soient encore floues, il convient d’apporter des preuves tangibles aux consommateurs dans la distribution des produits par le biais du libre-service, mais aussi un étiquetage le plus complet possible, d’exposer ses matières premières brutes, de montrer ses processus de fabrication qui sont autant de moyens de réassurer les consommateurs.
« Se faire plaisir en se faisant du bien tout simplement ! », la promesse de l’enseigne Boréa, Laurent Rémond, co-fondateur de l’enseigne.
« Nos enfants, aujourd’hui, veulent le produit le plus transparent possible et sortir du pétrin ! » Lionel Deloingce, Président de la Meunerie Française.
Après plusieurs scandales alimentaires, les consommateurs sont devenus experts et méfiants quant à l’innocuité des aliments qui leur sont proposés. La recherche d’un produit bon pour leur santé est aujourd’hui une priorité. C’est ainsi que l’on voit émerger des produits biologiques (10 % de la production de farine), le « SANS » ou le « NO » : gluten, pesticides, engrais, ajouts chimiques etc… Si Le hard discount l’a bien compris en prenant des parts considérables du marché en Europe, Lidl propose cependant un pain frais, cuit sur place, devant les yeux du client, avec une expérience sensorielle décuplée à un tarif imbattable en misant sur les volumes. Nathaniel Doboin cofondateur de Chambelland a expliqué comment il avait investi le sans gluten sans dogmatisme mais en assurant la promesse d’un produit gourmand avant tout.
/ 3 / Lutter contre le gaspillage alimentaire et rétablir le lien social du pain
20 à 30 %, c’est la part des déchets liés à la production de pain, de viennoiseries et de pâtisseries selon les résultats des études mondiales réalisées par les experts comme Gira ou CHD Expert. Des produits achetés, non consommés mais aussi de nombreux produits jetés en magasin, ont vu éclore une véritable prise de conscience collective. Les astuces, les tutoriels, sont légion afin d’éduquer, partager les bonnes pratiques, participer à la rééducation alimentaire des enfants et éviter de gaspiller à l’heure de l’hyperchoix. Si la motivation principale de nos concitoyens est de réaliser des économies substantielles, les commerçants et les industriels doivent se mobiliser afin de favoriser le lien social que le pain a toujours eu dans notre histoire.
Partager le pain non consommé, non vendu, apprendre aux clients à la recycler est un moyen d’évangéliser le consommateur à retrouver le caractère universel de ce produit emblématique de notre alimentation. C’est ainsi que nous voyons la progression des produits « à terminer à la maison » dans les pays où la consommation de pain frais était la norme.
/ 4 / Intégrer la politique de différenciation dans sa stratégie marketing
« Le Pain est sensuel ! » Gilles Fumey, géographe de l’alimentation.
« Face au développement des réseaux de boulangerie et de hard discount, cultiver sa différence pour l’artisan et les métiers de bouche, autour du pain, est la seule voie possible dans un marché arrivé à maturité et stable.« . Un conseil livré par les experts face à une consommation qui ne dépasse pas les 0.1 % par an. « Améliorer l’expérience en magasin, en redéfinissant les parcours d’achats des consommateurs, en apportant une réponse qui intègre les produits locaux, régionaux, redonner du sens à ce pain quotidien qui nous est si cher est la planche de salut de la profession, renchérit Gilles Fumey, géographe de l’alimentation qui parle de « Sensualité du pain! ». Et l’expert d’insister sur la nécessité de redéfinir son accueil, son parti-pris service et la reconnaissance d’un client fidèle pour mieux répondre aux enjeux d’aujourd’hui des artisans face à la concurrence. Notre société de consommation (et les commerces de bouche en particulier) est désormais construite sur un modèle non plus transactionnel mais expérientiel où la proximité et l’échange sont de vrais enjeux.
/ 5 / Redonner aux jeunes le Goût du pain
« Pain plat, pain mou, pain croustillant, l’avènement et la prise de pouvoir des millennials dans notre société ne font qu’encourager la chute de la consommation du pain dans nos sociétés urbaines. Comment redonner le goût du pain à cette frange de population qui représentera 50 % de la population mondiale en 2020 ? ». Marie Odile Fondeur, directrice d’Europain a expliqué comment le boulanger devait aujourd’hui se réinventer et la manière dont le salon qui se tient l’an prochain du 3 au 6 février, avait été repensé autour de trois piliers : je fabrique, je vends, je gère.
A la parole, Etienne Maillard, Directeur Marketing et Intelligence, Lesaffre et Etienne Vassiliadis, Agrasys France, au premier plan, Hubert Chiron, Ingénieur d’étude à l’INRA, débattent de l’avenir des céréales et des levains pour la boulangerie de demain…
« Etre boulanger, c’est être entrepreneur » Marie-Odile Fondeur, Directrice Europain.
« Les millennials, les 18/34 ans, ont bien du mal à se tourner vers les artisans traditionnels qui ne représentent que 6 % de la consommation de repas le midi et s’orientent aujourd’hui vers les sociétés de restauration rapide mais aussi la GMS et le hard discount afin de profiter d’une expérience et d’un rapport qualité-prix-services répondant à leurs codes communautaires et de besoin d’évasion. Il est donc indispensable pour la profession de repenser son positionnement, son offre et ses services. » Marie Odile Fondeur et Nicolas Nouchi, Chd Expert.
/ 6 / Redéfinir son parcours client : segmenter ses offres et ses flux
Laurent Estèbe, Rédacteur en Chef de Honoré Le Mag
et l’offre sucrée snacking de Delifrance à la CIBM.
« Ainsi, dans cette volonté de séduction, il convient donc de repenser son offre et de la segmenter en sublimant la pâtisserie qui devient un parcours obligé et le segment le plus porteur du marché représentant 12 % du C.A. total en France » selon Nicolas Nouchi de CHD Expert. Si, selon le cabinet, 96 % des artisans boulangers proposent désormais une offre snacking et à emporter – il s’agit de la plus grosse progression du secteur avec une hausse de 6 % en 4 ans -, il convient donc de réaliser un parcours client optimisé en magasin qui doit toujours valoriser le pain, l’élément central, mais aussi différencier son offre chaude des sandwichs, des produits associés aux formules comme les pâtisseries, les boissons fraîches et chaudes. Alors que le parcours physique doit être optimisé afin de rendre la disponibilité la plus aisée et la plus compréhensible possible à la clientèle en période d’affluence, il doit cependant être différent pour une offre à consommer sur place ou bien à emporter afin de fluidifier le service.
/ 7 / Driver le consommateur sur tous les instants de consommation
« Les relais de croissance sont dans les nouvelles offres à construire ou à développer selon les différents instants de consommation : petit déjeuner, snacking du matin, déjeuner, brunch, goûter, apéritif dînatoire, dîner », précise Nicolas Nouchi de CHD Expert.
Si les formules de restauration sont nombreuses à l’heure du déjeuner, la profession doit cependant encore progresser sur les autres moments avec, par exemple, des formules petit déjeuner à 3,90 € en moyenne en France à consommer sur place au sein d’un espace cosy, envisager également le café en take-away, un vrai driver de croissance, mais aussi imaginer des solutions pour l’apéritif ou le dîner avec des offres spécifiques en étendant les horaires d’ouverture jusqu’à 20 h 30. Il s’agit de simplifier la vie des consommateurs ou tout simplement de répondre à la manière dont ils vivent aujourd’hui. Il est également venu le temps de prévoir les événements spéciaux qui ponctuent l’actualité calendaire que tout commerçant doit désormais intégrer dans sa stratégie en plus des traditionnels Noël, Pâques et fêtes religieuses à l’exemple d’Halloween, de la rentrée scolaire…
/ 8 / Augmenter la valeur perçue du consommateur en développant les services
« En proposant la livraison, le drive, le click & collect, le paiement par Smartphone, le paiement en tickets restaurant dématérialisés, un accès au WIFI en boutique, une présentation des offres sur des écrans dynamiques à des moments choisis de la journée, on simplifie la vie des consommateurs et on gagne du revenu. », a rappelé Cédric Le Bian, à la tête de la boulangerie Delecto et largement investi dans la transformation digitale.
« Avec la solution de click & collect de Rapidle, nous avons enregistré une hausse des volumes de 10 % des formules à déjeuner, sans compter celle du panier moyen de plus de 30 % ».
Si le digital ne fait pas tout, il permet cependant d’aller chercher le client là où il se trouve en s’appuyant sur la géolocalisation et de pouvoir émerger d’une impasse bien plus rapidement. Il permet également aux établissements connectés de profiter d’une image moderne et actuelle et de convaincre le cœur de cible d’aujourd’hui et de demain, les fameux millennials très mobinautes. Autre levier possible, l’allocation de surface pour une restauration assise qui permet aux clients de passer un bon moment dans un endroit devenu un lieu de vie pensé pour eux et pour leur bien-être. « Près de 80 % des projets que nous réalisons aujourd’hui sont avec des places assises », a rappelé Claude Moreau, cofondateur de MCS Agencement qui n’hésite pas à faire appel à la réalité virtuelle pour optimiser les parcours des clients et de l’artisan avant d’effectuer les travaux.
« Notre dispositif digital permet aux commerçants de régler leurs problèmes de communication, faute de temps à consacrer au digital » Rodolphe Boch Lainé, fondateur de l’application de fidélisation les Habitués.
/ 9 / Manger du pain est un lifestyle en France et à l’international
Partager la culture du pain, raconter son histoire, définir un art de vivre si particulier autour de ce produit patrimonial c’est aussi instaurer un storytelling très sensuel afin de lui redonner ses lettres de noblesse et l’installer durablement dans le temps pour les siècles à venir, s’accordent à dire les experts et les artisans présents. Il s’agira donc d’établir un marketing authentique afin de (re)séduire un public français autour du plaisir et du partage.
Marie-Pierre Membrives, fondatrice du Cabinet Tastebuds, décrypte les habitudes de consommation du pain à l’international au travers du « panier du boulanger du monde ». Ici, celui de Davide Longoni Bakery en Italie.
« Faire du pain un produit aussi prestigieux que le vin » Davide Longoni Bakery (Italie)
Emil Moerkeberg, fondateur de Bageriet BROD au Danemark présente l’engouement des danois pour le pain et la naturalité.
A l’international, cette dimension est d’autant plus vraie que la consommation du pain n’est ni régulière, ni habituelle. « Si l’Asie du Sud-Est présente de réelles opportunités, il convient cependant de s’adapter aux comportements d’achat et de consommation des consommateurs en personnalisant la fameuse baguette et les produits de viennoiserie. », a précisé Fabrice Herlax, Directeur Marketing et Opérations International – Delifrance Franchise qui a parlé de généralisation du libre-service en Chine, en s’amusant avec les spécificités locales au Japon avec le sakura (la fleur et la feuille de cerisier), en intégrant le thé vert, le yuzu, mais aussi les pains mous comme le baô et le bun dans les régions plus tropicales ou le pain plat ou bien à base de farine de riz…
Fabrice Herlax, Directeur Marketing et Opérations International – Delifrance Franchise et les produits et innovations Delifrance dans l’univers de la BVP.
Autre zone géographique décryptée à l’occasion du CIBM, l’Afrique. « Cette zone reste un terrain inexploré qui recèle un gros potentiel », a expliqué Yann Lebeau, chef de mission Maghreb-Afrique qui a souligné « le rôle central du pain blanc dans l’alimentation au Maghreb. » . Et le spécialiste de rappeler qu’on y consomme beaucoup plus de blé français que les français eux-mêmes… Avec un rapport quantité-prix non négligeable à anticiper avant de se positionner sur ce marché où l’on achète 5 baguettes par personne en moyenne par jour alors qu’on a du mal en France à consommer une baguette par foyer…
/10 / Rendre la profession attractive pour recruter
« La qualité, l’artisanat, la formation, sont les enjeux de boulangerie de demain, le travail des mains libère l’esprit. » Eric Kayser.
Dans cette même philosophie de partage et de culture du pain, les artisans ont bien du mal aujourd’hui à valoriser leur métier et à recruter le personnel dont ils ont cruellement besoin aux compétences désormais multiples. Qu’il s’agisse de touriers, de boulangers, de meuniers, mais aussi de restaurateurs et de personnes qualifiées en snacking et aux nouveaux outils de cuisson, la filière manque cruellement d’attractivité. Préparer l’avenir, proposer des emplois attractifs et évolutifs tout au long d’une carrière, c’est tout l’objectif de la filière afin de poursuivre la transmission du savoir autour de tous les métiers du pain, de la viennoiserie et de la pâtisserie en s’appuyant sur la valeur essentielle de ce produit. Si dans les boulangeries modernes nous trouvons déjà des boulangers qui vendent également leur pain, c’est un premier pas vers une évolution logique du métier…
La 1ère Convention Internationale de la Boulangerie Moderne est organisée en partenariat avec Bridor, Délifrance, Lesaffre, Europain et Metro Cash and Carry France et le soutien de Aemic, CEPB, la FEB, AIBI, France Snacking, le Syndicat de la Panification Croustillante et Moelleuse, l’AIPF et l’EKIP que nous remercions chaleureusement ainsi que tous les experts et les intervenants qui ont contribué au succès de cette première édition.